mercredi 31 mai 2017

L'importance des bulles

Durant mon enfance, ce qui me permettait de m'échapper, c'était les livres. Les gens me faisaient peur, je ne parlais presque jamais (bégaiements + timidité), et lorsque je le faisais, je me sentais ridicule. Du coup, je m'enfermais des heures durant dans des fictions en tout genre (le premier livre que j'ai lu c'est Harry Potter et L'Ecole des Sorciers, niveau univers qui te prend c'était suffisant), ou parfois même dans des livres scientifiques, que je comprenais avec une facilité qui déroutait mes parents. Je ne regardais la télévision qu'à de rares moments, j'aimais surtout m'enfermer dans la pièce où se trouvait le magnétoscope pour passer les deux mêmes films en boucle: Sauvez Willy, et Paulie, le Perroquet qui parlait trop. Ce dernier film, je l'ai aimé d'un amour fou, presque obsessionnel. Je pense qu'à l'époque, je devais le regarder deux ou trois fois par jour (j'ai tellement usé la bande, il est illisible aujourd'hui), c'est insensé quand j'y repense, à quel point le visionnage de ce film me faisait sentir bien. Je pense que je devais me reconnaître dans cette histoire [les liens vers les résumés et bande annonces seront à la fin pour les plus curieux], cette fable parlant de personnages inadaptés, qui sont incapables de faire une chose pourtant simple pour leurs semblables, mais qui, avec la foi et l'aide des gens qu'ils rencontrent au fur et à mesure de leur vie et à qui ils s'attachent, parviennent à surmonter leurs peurs.

Je l'avoue, j'ai tanné mes pauvres parents pour avoir un perroquet pendant un long moment haha. Les livres sont rester mon moyen de m'échapper à la réalité pendant un long moment (c'est toujours le cas aujourd'hui, je ne suis néanmoins plus autant capable de m'enfermer dans un histoire, de peur d'y rester), de ne pas avoir à parler de ce qu'il y avait dans ma tête mais des mots qu'il y avait dans ces livres, de ce que j'apprenais, de ce qui me fascinait. Puis, lorsque j'ai commencé à guérir doucement de mon problème de locution, il m'a été demandé de parler un peu avec les personnes en dehors de ma famille, de personnes de mon âge (les mêmes personnes qui, à mes yeux, me traumatisaient, me frappaient, me torturaient psychologiquement parce que je n'étais pas comme eux). J'ai donc commencé à parler avec quelques personnes, de temps en temps, au cours de danse que je suivais (et que je détestais par ailleurs...), parfois au collège. Et qu'est ce que c'était dur pour moi ! Chaque phrase qui sortait de ma bouche leur donnait une occasion de se moquer de moi, chaque sujet que j'amenais sur le tapis creusait l'écart entre eux et moi. Très vite, je me suis sentie mis à l'écart, inadapté, mal à l'aise avec les personnes qui ne faisaient pas partie de ma famille proche (mes parents, et mes soeurs donc). Ma mère parlait d'une timidité maladive, mon père me pensait surdoué, mes soeurs juste insociable. Et la vérité, c'est que je suis un peu les trois à la fois (il n'y a malheureusement que le côté "surdoué" (que je hais ce mot, putain) qui a été "diagnostiqué" (donc défini par un médecin quelconque d'après un résultat de tests dont je ne me souviens même plus, tellement ça m'avait ennuyé). Le reste, je ne l'ai découvert et accepté que plusieurs années plus tard...
Je n'étais pas à l'aise avec le monde qui se trouvait hors de ma maison, ça a commencé à s'arranger avec l'Emo (enfin, s'arrangé... On se comprend hein...) qui me forçait à parler avec des gens, ceux qu'il choisissait bien sûr... 
 Puis à la sortie de l'hôpital, même ma famille n'avait plus droit à un mot de ma part. Je suis resté muet pendant un moment, ne parlant que si c'était absolument nécessaire. J'ai recommencé à parler aux gens grâce à Aryah, qui faisait office de doublure quand il était trop difficile pour moi de gérer tout ça (c'est encore elle qui, aujourd'hui, commande mes plats au resto, passe les coups de téléphone, ou répond aux gens que je ne connais pas ou peu), même avec ma famille parfois, c'est elle qui prenait la parole. Oui, je crois que je peux le dire... A part les livres et le film Paulie cité plus haut, c'était Aryah ma bulle (ces trois bulles, je les ai gardé avec moi. Parce que ce sont les seules bulles dont j'ai une confiance absolue dans leur pérennité). La chose qui me donnait l'impression de ne pas être trop anormale (bon, si on oublie les nombreux cauchemars et nuits blanches à l'entendre me répéter que j'étais un monstre de foire, une anomalie, une erreur à supprimer... Oui, elle est très différente aujourd'hui. On a réussi à s'apprivoiser, en tant qu'esprit et porteur).

J'ai réalisé récemment que lorsque tu souffres de plusieurs maux au niveau mental, tu as BESOIN de bulles. Ces choses, ces lieux, ces personnes parfois qui, lorsqu'ils sont avec toi, te font oublier tout ce qui te hante en temps normal, tout ce qui est inscrit dans ton dossier médical et psy, te font te sentir... Humain. Juste humain. Pas une étrangeté, pas un cas médical compliqué, pas un étudiant capricieux, pas un amoureux trop lunatique, pas un ami trop bizarre. Juste toi, le toi humain, le toi fait d'os, de muscles, de sang, de chair, de peau (un peu abîmée dans mon cas), de poils, et surtout de sensibilité. Cette sensibilité, cette surcharge d'émotions au niveau de ta petite tête, qui habituellement te font souffrir, mais qui avec ces bulles, te font te sentir plus léger. Ces bulles, c'est comme les personnages d'une fiction, comme les protagonistes d'une pièce de théâtre que tu écris: ils ont tous un nom, une fonction, des scènes précises. Et c'est de tout ça, de cette illusion de contrôle que tu tire une tranquillité spécifique à eux, si ils tentent de changer trop vite, de façon trop incompréhensible, tu panique, ça t'effraye, et tu préfère les retirer de la pièce, pour l'équilibre de ton mental (certaines des personnes bulles dont mon entourage ont changé, mais j'ai conservé leur rôle , je les ai même peaufiné, sublimé. En fait, c'est le cas de deux seulement: une de mes amies partie au Japon cette année, et le Nonchalant. Je sais que tu vas passé par là, et cet adjectif te sied tellement que du coup c'est le nom de ton nouveau rôle. Et tu sais quoi ? je l'aime beaucoup ce rôle ci).

Ca peut paraître mégalo-maniaque comme façon de faire, mais c'est mon cerveau tout cassé qui a besoin de fonctionner, de réagir de cette manière. Je ne perçois pas le monde comme beaucoup de gens autour de moi, il y a beaucoup trop de règles, de façons de faire, d'agir, de parler, beaucoup de traditions sociales qui me dépassent. Du coup, je réinvente à mon niveau ma relation aux autres. J'ai peu de personnes bulles, rares sont les gens qui me font oublier l'état piteux dans lequel se trouve ma tête, et qui me font me sentir juste humain. (Je ne ferais pas la liste ici, si je tu fais partie de ma pièce, j'ai déjà dû te le dire.)

Donc si toi aussi tu as des bulles, gardes les précieusement. Ne laisse personne te les arracher, parce que si ces parcelles d'équilibre se cassent ou disparaissent, tu risque de ne pas réussir à te relever à chaque chute, ou beaucoup plus difficilement.  

Une bulle, c'est doux, c'est confortable, ça fait du bien. Donc longue vie à nos bulles.


Le trailer (en VO Sorry)
Synopsis


4 commentaires:

  1. Tu expliques vraiment bien un phénomène que j'ai déjà un peu remarqué chez moi (et c'est "drôle" de voir qu'on a la même bulle de fiction initiale, Harry Potter), même si personnellement je ne le modélise pas comme ça.
    Bref, veille sur tes bulles, petit camarade d'exclusion sociale.

    RépondreSupprimer
  2. (c'est vrai, mais ça n'est pas étonnant en même temps)
    Je pense que bcp de personnes qui ont plus ou moins les mêmes problèmes que nous ont tendance à recourir aux bulles.
    ça parait horrible la façon de je modélise mes bulles quand je relis... x)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, sans forcément les appeler bulles ou en être très conscient.
      Mais non ça paraît pas du tout horrible moi j'appelle juste pas ça comme ça et je fais pas les mêmes dessins dans ma tête x)

      Supprimer
  3. C'est plus le côté "objet que j'utilise pour aller mieux" qui me paraît horrible. Mais ça ne l'est pas, je le sais.

    RépondreSupprimer